Carla MORVAN | 23/11/2020
Dans un but d’amélioration
de la qualité des soins de santé au Burundi, le Ministère de la Santé Publique
et de la Lutte contre le Sida (MSPLS) a décidé de mettre en place des outils
support au diagnostic et au traitement pour les personnels des niveaux
décentralisés. La « Stratégie Plainte-Traitement » (SPT) est un de
ces outils qui aide l’infirmier à partir des plaintes du malade à cibler le
traitement. L’introduction de ces outils a été faite dans les années 2010. Ils fonctionnent
sur la base d’algorithmes.
L’objectif des SPT
est de réduire les situations d’incertitude face à la prise de décision
médicale en rationalisant la prise en charge des soucis de santé de manière
efficace et efficiente, en augmentant les taux de guérison, en diminuant les
coûts des soins et en accélérant les références justifiées.
Jusqu’à présent,
les SPT se présentaient sous la forme de guides papiers, très volumineux et
très encombrants. Dans le cadre du projet Résilience (Twiteho Amagara, financé
par l’Union européenne) le consortium Enabel, représenté par Enabel, a décidé
de mettre en place, dans ses cinq provinces d’intervention, un projet pilote de
digitalisation de ces SPT. Cela signifie que les algorithmes utilisés au niveau
des guides papiers ont été retranscrits en code afin de créer une version digitalisée
et une application mobile beaucoup plus faciles à manœuvrer.
Afin de mieux
comprendre les enjeux et les objectifs de cette digitalisation pour le projet
Twiteho Amagara, nous avons interrogé le professeur Jef Van den Ende, médecin
interniste spécialiste en épidémiologie clinique, en intelligence artificielle
ainsi qu’en développement de logiciels de formation.Il est à présent
professeur invité au sein de plusieurs universités à travers le monde. Il
possède également de nombreuses expériences dans d’autres pays de la
sous-région (il a notamment exercé durant six années à l’Hôpital de Dungu au
Haut Zaïre et durant trois années au Centre Hospitalier Universitaire de Kigali
au Rwanda).
Selon vous Jef, quel est l’objectif de la digitalisation
des SPT, en comparaison à la version papier ?
« L’objectif
principal de la digitalisation est d’obliger le prestataire à suivre
méticuleusement un chemin diagnostique qui mène à une décision bien fondée.
Dans la version papier il n’était pas clair qu’il fallait avant tout – avec
quelques questions bien ciblées – exclure les maladies graves et traitables
avant d’aller plus loin. Personne que j’ai interrogé n’avait compris ce pas
indispensable. Dans un algorithme informatisé on ne peut progresser avant
d’avoir répondu à ces questions fondamentales ».
Est-ce que cette version digitalisée est bien acceptée
par les prestataires et les patients ? « Le problème
que posent les SPT « papier » est qu’elles ne sont pas suffisamment
utilisées par les prestataires. La raison principale à cela est la confiance.
En effet, si un patient aperçoit un prestataire qui consulte des documents
papiers pour arriver à une solution thérapeutique, il va penser que ce dernier
est incompétent et donc perdra toute confiance en lui. Avec les tablettes
digitales, le patient a la sensation que le prestataire ne fait que remplir le
dossier médical, ce qui le rassure.
De plus, la
tablette en soi aurait un effet ‘magique’ : dans certains cas, le patient
se sent guidé par une main presque surnaturelle.
Du côté prestataire
il y a une certaine réticence, parce qu’ils soulignent qu’il y a beaucoup trop
d’issues « il faut référer le patient ». De plus, ils ont la
sensation de ne plus être considérés comme des « médecins ». Mais en
dépit de ces réserves, nous nous attendons quand même à ce qu’au moins la
moitié des patients soient consultés à l’aide des SPT digitalisés après leur
mise en place ».
Quels est le rôle de votre mission ici ?
« Mon rôle est
de former les formateurs, à savoir les équipes cadres des districts sanitaires
et du MSPLS qui eux-mêmes vont former leurs équipes à savoir les prestataires
des centres de santé (CDS). Je souhaite également leur transmettre la logique
derrière les SPT, mon objectif n’est pas seulement de leur enseigner à utiliser
l’application, mais aussi à analyser la manière dont celle-ci a été construite.
Les notions principales à comprendre sont celles des pouvoirs de confirmation
et d’exclusion d’une réponse à une question. Par exemple, si nous voulons
exclure une pathologie grave et traitable, il faudra un nœud avec un fort
pouvoir d’exclusion, un symptôme quasi ‘nécessaire’. Il est également important
de ne pas hésiter à référer : il s’agit d’un concept fondamental dans
l’approche algorithmique des décisions médicales. Dans de nombreux cas, l’état
du patient s’est spontanément amélioré lorsqu’il arrivait à l’hôpital, ou la
situation a été estimée plus grave qu’elle ne l’était en réalité. Cependant,
cela ne veut pas dire que la décision de référer, prise à la base d’un symptôme
d’alarme, était erronée : elle était bien justifiée. Tant pour les
formateurs que pour les prestataires, réaliser que si une référence peut
s’avérer inutile en fin de compte, ne veut pas dire qu’elle n’était pas
justifiée au départ. Il s’agit d’un aspect fondamental dans la logique de
décision médicale, qui explique l’apparent excès de références dans le logiciel
».
Quel(s) résultat(s) souhaitez-vous atteindre au travers
de cette activité ?
« Le principal
résultat qui est attendu de cette formation est le développement de qualités de
formateurs chez les participants. Outre la maîtrise du matériel et du logiciel,
je souhaiterais que les personnes formées puissent reprendre les différentes
techniques interactives d’andragogie et d’animation que je leur ai enseignées
tout au long de la semaine. Ceci participe à leur autonomie ».
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Burundi BDI180981T