Dans la commune de Savè, département des Collines au Bénin, quelque chose d'habituel s'est produit en février 2024. Trois personnes, élues par leur communauté, ont décidé de briser le silence qui entourait trop souvent les violences basées sur le genre. Pas des experts venus de la capitale. Pas des agents de l'État. Juste des membres ordinaires de la communauté, animés par une conviction : que chaque survivante de violence méritait protection, orientation et justice. Ils sont devenus ce qu'on appelle aujourd'hui les « Comités Zéro VBG » et leur histoire pourrait bien transformer la lutte contre les violences de genre dans tout le département.
Le déclic : une approche lieu du terrainFatou (nom d'emprunt), membre d'un des premiers comités, se souvient de ce jour où une jeune femme de son quartier est venue frapper à sa porte, le visage tuméfié, ne sachant pas vers qui se tourner. « Avant, nous aurions probablement essayé d'arranger les choses à l'amiable avec la famille. Mais cette fois, nous savons quoi faire. Nous l'avons accompagné au Guichet Unique Protection Sociale, puis au centre de santé, et nous avons assuré le suivi jusqu'au bout. » C'est là toute la force du modèle des Comités Zéro VBG : transformer des citoyens volontaires en véritables relais communautaires, capables d'identifier les cas de violence, d'orienter les survivantes vers les services appropriés tels que les centres de santé, les commissariats, les services sociaux et surtout, de rester à leurs côtés tout au long du processus.
Les résultats n’ont pas tardé. Depuis février 2024 à décembre 2025 où cette aventure a démarré avec l'appui du projet EQUITE 2, 248 personnes ont été prises en charge pour ces cas de violences basées sur le genre au Centre Intégré de Prise en Charge (CIPeC) des VBG construit et équipé par le Projet. 43 membres du personnel du CIPeC et de l'hôpital de Dassa dont 30 agents de santé, 2 assistants sociaux, 2 psychologues, 4 officiers de police judiciaire, 1 magistrat et 4 cadres administratifs de l'hôpital ont été formés sur les procédures opérationnelles standardisées. De même, 40 agents de police ont été formés sur l'accueil, l'écoute et la prise en charge des VBG. 144 acteurs communautaires membres des Comités Zéro VBG ont été également formés et 25 acteurs de la Direction Départementale des Affaires Sociales et de la Microfinance des Collines et des Guichets Uniques Protection Sociale sont formés sur la planification opérationnelle, le suivi et l'évaluation des interventions de lutte contre les VBG. Tous les cas de VBG portés à la connaissance des comités ont été référés et suivis. Plus impressionnant encore : la communauté elle-même a commencé à reconnaître et à solliciter ces nouveaux acteurs. Les arrangements à l'amiable, qui maintenaient souvent l'impunité, ont laissé place à des dénonciations et à une véritable collaboration avec les autorités policières.« Ce qui nous a le plus frappés, c'est que les gens ont compris que la violence n'est pas une affaire privée, mais un problème de société », explique un commissaire d'arrondissement ayant participé à l'expérience. « Les comités ont réussi là où parfois les institutions peinaient à créer un climat de confiance. », a -t-il martelé.
Le succès des acteurs communautaires inspire les institutionsL'impact a été tel que la Direction Départementale des Affaires Sociales et de la Microfinance des Collines (DDASM) a décidé de faire de cette initiative pilote une stratégie départementale. En décembre 2024, les commissaires d'arrondissement, représentants des Guichets Uniques Protection Sociale, ONG spécialisées et les huit comités pionniers, devenus de véritables experts communautaires, se sont réunis pour un atelier historique. Objectif : capitaliser sur cette expérience, affiner le modèle et tracer la voie pour son extension à l'ensemble du département des Collines et à la zone sanitaire de Tchaourou.« Ce n'est pas souvent qu'une approche développée au niveau local convainc les autorités départementales au point qu'elles décident de l'adopter formellement », souligne Mme Aziza Souleymane Experte Genre & Santé au projet EQUITE II, financé par l'Agence Française de Développement et mis en euvre par Enabel. « C'est la preuve que lorsque les solutions viennent des communautés elles-mêmes, elles ont plus de chances de durer. », a-t-elle ajouté.
Les sessions de discussion ont permis d'aller plus loin que le simple constat de réussite. Ensemble, tous les acteurs des institutions de la société civile et des comités communautaires ont co-construit une méthodologie standardisée, élaboré des outils pratiques et défini une feuille de route claire jusqu'en 2027. Cette démarche participative garantit que le modèle pourra être fidèlement répliqué tout en s'adaptant aux réalités de chaque commune. Elle marque aussi une étape décisive vers l'institutionnalisation de l'approche, gage de pérennité au-delà du projet EQUITE II.
L'effet domino : vers un département zéro VBGLes prochains mois s'annoncent décisifs. Le modèle sera étendu progressivement à toutes les communes du département. Des visites de terrain avec les autorités départementales sont prévues pour renforcer le plaidoyer en faveur d'un financement durable de la lutte contre les VBG. Un référentiel de mise en œuvre sera élaboré pour servir de guide à toutes les futures réplications. Mais au-delà des plans et des documents officiels, c'est une culture véritable du refus de la violence qui est en train de naître. Dans les marchés, les écoles, les centres de santé de Savè, on parle désormais ouvertement du VBG. On connaît les membres des comités. On sait qu'il existe des recours, que personne ne doit rester seul face à la violence. L'histoire des Comités Zéro VBG de Savè démontre une vérité simple mais puissante : le changement social durable ne peut se décréter d'en haut. Il naît lorsque les communautés elles-mêmes deviennent actrices de leur transformation, soutenues par des institutions qui croient en leur capacité d'agir. Fatou, qui continue ses activités bénévolement au sein de son comité, résume bien cet espoir : « nous ne sommes pas des super-héros. Nous sommes juste des gens qui ont décidé de ne plus fermer les yeux. Et quand toute une communauté décide ça, les choses changent vraiment. »Dans les Collines du Bénin, une révolution silencieuse est en marche. Et elle porte un nom : Zéro VBG.
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